À Clermont-Ferrand, l’adjoint à “l’innovation démocratique” incarne cette gauche locale qui parle participation citoyenne un verre de champagne à la main.
Il y a des images qui disent tout. Sur son profil Facebook, lunettes noires, sourire étudié, flûte de champagne à la main, Charles Dubreuil rayonne. Le décor est chic, le ton léger : c’est la gauche hédoniste du XXIe siècle, celle qui a troqué le tract syndical pour le vélo électrique et la coupe de crémant bio.

Adjoint au maire de Clermont-Ferrand chargé de « l’innovation démocratique », Dubreuil incarne parfaitement cette génération de cadres socialistes pour qui la politique se conjugue avec confort de vie et bonne conscience écologique.
Une “innovation démocratique” très institutionnelle
Professeur agrégé de droit public à l’université Clermont-Auvergne, Dubreuil appartient à cette élite intellectuelle qui voit dans la participation citoyenne un terrain d’expérimentation académique. Mais à Clermont, la “démocratie participative” s’apparente surtout à un laboratoire d’idées policées, sans débordement populaire. Panels, questionnaires, ateliers de concertation : la parole du peuple, encadrée, reste bien sage.
Car derrière le jargon participatif, c’est toujours le pouvoir municipal qui garde la main. Et Dubreuil, en bon juriste, en est l’un des architectes. “L’innovation démocratique” version Clermont-Ferrand, c’est un peu la démocratie vue depuis l’amphi : bien cadrée, bien filtrée, avec un règlement intérieur en dix articles.
L’universitaire devenu notable
Sa déclaration d’intérêts, document public, le décrit comme un fonctionnaire modèle : enseignant, consultant juridique occasionnel, membre d’associations savantes et de structures à vocation humanitaire. Tout cela compose un CV impeccable, où rien ne dépasse. Mais à y regarder de plus près, l’ensemble témoigne surtout d’un ancrage très confortable dans les institutions : université, mairie, associations reconnues, et même une participation active dans des échanges franco-russes sur le droit administratif.
Bref, Dubreuil n’est pas un homme de terrain : c’est un homme de réseau. Et à Clermont-Ferrand, ville socialiste par tradition, ces réseaux sont solidement tissés entre la mairie, l’université et la bourgeoisie intellectuelle locale.
Ce profil typique du “notable progressiste” explique aussi pourquoi la politique municipale y reste si feutrée. On parle volontiers d’écologie et de démocratie, mais toujours dans le cadre du raisonnable, sans jamais heurter les équilibres locaux. Le changement, oui, mais sans bousculer les notables ni froisser les amis de la fac.
La gauche des beaux quartiers
Le plus piquant reste sans doute cette dissonance entre les discours de gauche et le style de vie affiché. Sur les réseaux, Dubreuil se met volontiers en scène avec un vélo électrique flambant neuf, modèle “Ymagine Voyageur”, fabriqué en France, précise-t-il fièrement. “Je le teste depuis deux mois, un vrai plaisir !” écrit-il, photo à l’appui.

Le message se veut vertueux : mobilité douce, production nationale, sobriété heureuse. Mais difficile d’oublier le prix d’un tel engin (3000€), souvent équivalent à un salaire mensuel au Smic. La bicyclette électrique devient ici symbole social autant qu’écologique, un totem de distinction plus qu’un outil de transformation.
Et voilà comment l’écologie devient un style de vie plus qu’un combat. On ne change pas le système, on l’orne de bonnes intentions. La “gauche bobo” a trouvé son ambassadeur à Clermont-Ferrand : élégance, pédagogie, et communication léchée.
Cette mise en scène de soi, champagne d’une main et vélo électrique de l’autre, condense l’ambiguïté d’une génération politique qui veut sauver la planète sans renoncer à son confort.
Clermont-Ferrand : le socialisme en mode gestion
La ville, dirigée depuis 1945 presque sans discontinuité par la gauche, vit depuis longtemps sous le régime d’un socialisme tranquille, gestionnaire et paternaliste. Une gauche d’appareil, rassurante, où l’on distribue des postes et des missions comme autant de gages de loyauté.
Dans cet environnement, Dubreuil incarne le profil idéal : loyal, compétent, bien formé. L’université fournit la caution intellectuelle, la mairie offre le tremplin politique, et tout ce petit monde s’auto-congratule dans les réceptions où l’on parle “d’innovation démocratique” autour d’un buffet local.
Mais le prix de cette stabilité, c’est la déconnexion. La ville populaire, celle des quartiers périphériques, n’est presque jamais conviée à la table de la concertation. Le discours socialiste se vide peu à peu de son contenu, remplacé par une rhétorique participative qui fait plus illusion que révolution.
Une écologie de vitrine
Quand Dubreuil vante sur les réseaux sociaux les mérites d’un vélo “100% made in France”, il ne fait que prolonger cette logique de communication. L’écologie devient un argument marketing, et la transition écologique, un horizon publicitaire. On “teste”, on “valorise”, on “accompagne” : le champ lexical du management remplace celui de la lutte politique.
Or, cette écologie d’image, propre, design, institutionnelle, passe complètement à côté des enjeux sociaux : transports publics, précarité énergétique, urbanisme inégalitaire. Le vélo électrique n’est pas une solution pour la majorité des Clermontois modestes, c’est un symbole d’appartenance à une classe éduquée qui a les moyens d’être vertueuse.

Entre sincérité et calcul
Il serait injuste de réduire Charles Dubreuil à une caricature. Ses engagements associatifs (Secours populaire, Clinique du droit pour les étrangers) témoignent d’une réelle sensibilité sociale. Mais là encore, le geste paraît souvent plus institutionnel que subversif : un engagement de cadre, propre, ordonné, sans colère.
Dubreuil incarne à merveille ce paradoxe français : des élus sincèrement humanistes, mais structurellement prisonniers d’un système politique où la parole populaire est neutralisée par la technocratie.
Un symbole plus qu’un coupable
En vérité, Dubreuil n’est pas le problème : il en est le symptôme. Le symptôme d’une gauche locale qui a troqué le combat pour la posture, la mobilisation pour la communication, la transformation sociale pour la tranquillité du pouvoir.
À Clermont-Ferrand comme ailleurs, la gauche municipale n’est plus l’expression d’un peuple, mais la gestion de son absence.
Et quand les visages souriants des adjoints remplacent les militants dans les rues, quand les vélos électriques tiennent lieu de drapeaux, c’est que la gauche s’est installée dans le confort. À force d’être respectable, elle en devient inaudible.
Post-scriptum : Le portrait Facebook de Charles Dubreuil – lunettes noires, costume sombre, flûte de champagne à la main – illustre malgré lui ce décalage. Ce n’est pas un cliché mondain : c’est une métaphore politique. Celle d’une gauche qui lève son verre à la démocratie, mais qui oublie parfois d’en descendre dans la rue.





