À Clermont-Ferrand, certaines trajectoires politiques racontent autant le fonctionnement du pouvoir local que les individus eux-mêmes. Celle de Samir El Bakkali en est une illustration frappante : de la droite républicaine aux listes de gauche, des mouvements citoyens aux associations locales, son parcours incarne les ambiguïtés d’une vie publique où les convictions semblent parfois céder la place au calcul.

Un parcours en zigzag politique
Tout commence en 2007. Suppléant de la candidate UMP Anne Courtillé, Samir El Bakkali se présente alors comme la voix d’une droite républicaine « ouverte » et « méritocratique ». Dans un discours remarqué à Cébazat, il fustige « la peur de s’engager autrement » et revendique pour les Français issus de l’immigration le droit de choisir librement leurs idées politiques. Il aurait déclaré également que des cartes du Parti socialiste sont distribuées gratuitement dans les quartiers nord de Clermont-Ferrand à chaque élection municipale. Un propos qu’il tenait pour dénoncer, selon lui, une forme de clientélisme enraciné dans la vie politique locale.

Ce message de liberté individuelle tranche avec la rigidité partisane locale : Clermont-Ferrand, bastion historique de la gauche, n’a alors guère de place pour la droite.
Mais les lignes bougent vite. En 2008, El Bakkali se présente de nouveau dans le canton nord sous la bannière UMP, avant de rejoindre une liste divers-gauche conduite par Mireille Lacombe lors des municipales. Quelques années plus tard, il s’affiche à nouveau, cette fois sous les couleurs du mouvement 100 % citoyen, un collectif se revendiquant apolitique et issu de la société civile.
En un peu plus d’une décennie, le militant a donc exploré presque tout le spectre politique local. Une mobilité qui interroge sur le sens profond de l’engagement lorsqu’il se transforme en stratégie d’existence publique.
L’ancrage associatif, levier d’influence
Parallèlement à ce parcours politique, Samir El Bakkali a su construire un réseau solide dans le monde associatif. Président national de Mosaïc, fondateur de l’association Toutes et Tous Ensemble et du Comité régional Mosaïc Auvergne-Rhône-Alpes, il a développé un maillage territorial dense autour de la citoyenneté et du vivre-ensemble.
Ces structures, actives depuis près de vingt ans, bénéficient d’un ancrage réel dans les quartiers populaires, où elles organisent événements culturels, actions sociales et initiatives de dialogue intercommunautaire.
Récemment encore, une cérémonie célébrant les anniversaires de ces associations a réuni plusieurs élus locaux, dont le maire de Clermont-Ferrand, Olivier Bianchi. Cette proximité entre responsables politiques et acteurs associatifs illustre une réalité bien connue dans les collectivités françaises : l’imbrication entre engagement associatif et stratégie électorale.
Le symptôme d’un système local verrouillé
Le cas de Samir El Bakkali n’est pas isolé. À Clermont-Ferrand comme dans bien d’autres villes, la frontière entre l’activisme citoyen et la politique institutionnelle tend à s’effacer. Les réseaux associatifs deviennent des réservoirs d’influence, où la reconnaissance symbolique et la légitimité sociale se convertissent parfois en capital politique.
Ce phénomène, alimenté par un système municipal centralisé et peu renouvelé, nourrit une culture du pragmatisme électoral : chacun cherche sa place dans la majorité ou à sa périphérie, quitte à adapter son discours à la conjoncture. La conséquence, c’est une politique locale où les idées pèsent souvent moins que les réseaux.
Une démocratie de proximité fragilisée
Ces logiques ne relèvent pas de la corruption mais d’un glissement plus insidieux : celui d’une démocratie de proximité devenue un espace d’équilibres et de renvois d’ascenseur.
Les élus cherchent des relais dans les quartiers ; les associations attendent des soutiens en retour. Dans ce jeu d’interdépendance, la parole citoyenne authentique se dilue au profit d’un clientélisme discret, mais bien réel.
Le parcours de Samir El Bakkali, tour à tour candidat UMP, membre de liste de gauche, puis acteur « citoyen » en est l’un des visages. Non pas celui d’un homme seul, mais d’un système où l’engagement public sert trop souvent de tremplin personnel.
Et où, parfois, les convictions s’effacent derrière la recherche d’une place dans l’échiquier politique local.
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