Quand France 3 et Le Courrier des Entreprises livrent deux versions opposées de la réalité commerciale clermontoise
Le 16 octobre 2025, France 3 Auvergne diffusait un reportage intitulé « Les deux visages de la métropole clermontoise ». Pour une fois, la chaîne publique semblait s’approcher d’un constat lucide : le centre-ville de Clermont-Ferrand est en déclin commercial. Rue Ballainvilliers, deux ans de travaux ont vidé les terrasses, raréfié les clients et laissé derrière eux un paysage morne. Le reportage posait même la question : « Difficile de croire que cette rue retrouvera toute sa splendeur d’ici deux mois. »
Des commerçants à bout : –50 % de chiffre d’affaires pour certains
Thierry Mestre, gérant d’un café-restaurant dans ce secteur, confie que son chiffre d’affaires frôle les –50 %. Loin des –5 % officiels souvent évoqués par les acteurs institutionnels.
Plus près de Jaude, Olivier Decarre, qui possédait également un commerce en périphérie, constate que son magasin du centre-ville réalise autant de tickets, mais avec un panier moyen inférieur de 20 %. Une situation anormale : dans une ville dynamique, le centre devrait surperformer la périphérie.
Le narratif adoucissant de France 3 : “La périphérie se porterait légèrement mieux”
Juste au moment où l’on pouvait croire à une inflexion journalistique, France 3 tempère : « A contrario, la périphérie se porterait légèrement mieux. »
L’expression en dit long. Derrière la reconnaissance tardive des dégâts, on retrouve la prudence institutionnelle : minimiser, équilibrer, relativiser. Le reportage ne va pas jusqu’à nommer clairement les causes : travaux à répétition, politique anti-voiture, disparition du stationnement, chantiers InspiRe.
Le Courrier des Entreprises à la rescousse : la version “rassurante”
Deux jours plus tôt, Le Courrier des Entreprises publiait un article intitulé « Commerces : les adresses en périphérie de la métropole clermontoise en progression de chiffre d’affaires ». On y lit que le centre-ville ne reculerait que de 5 %, tandis que la périphérie progresserait légèrement (+2 % de chiffre d’affaires, +4 % de tickets).
Un ton très différent, presque optimiste, comme pour contrebalancer la réalité brute décrite par France 3. L’article explique les difficultés par des causes globales : inflation, prudence des consommateurs, contexte économique national. En clair, tout sauf la responsabilité des choix locaux.
Une stratégie de communication bien huilée
Cette juxtaposition de récits n’est pas anodine.
D’un côté, France 3 montre enfin les visages de commerçants en détresse.
De l’autre, Le Courrier des Entreprises publie un article calibré pour rassurer et réhabiliter l’image de la métropole, en reprenant les arguments de la CCI et des partenaires institutionnels.
Dans les faits :
- Les chiffres de –5 % sont des moyennes, qui masquent les effondrements individuels de –40 à –60 %.
- L’idée que la périphérie “résiste” est une illusion statistique : certains centres commerciaux bénéficient d’un report temporaire, mais eux aussi subissent les chantiers d’accès et la baisse du pouvoir d’achat.
- Les références à une future “reprise” après la fin des travaux d’InspiRe reposent sur une projection politique, non sur des indicateurs économiques tangibles.
La CCI en première ligne pour relativiser
Dans le reportage de France 3, Stanislas Renié, vice-président de la CCI, explique que la baisse relève d’un effet de conjoncture, car “le consommateur a tendance à épargner”.
Un discours qui rejoint mot pour mot celui du Courrier des Entreprises.
Mais comment parler de simple conjoncture quand la dégradation touche spécifiquement Clermont-Ferrand, bien plus que d’autres agglomérations régionales ?
La CCI, qui a validé sans réserve les grands travaux métropolitains, semble surtout soucieuse de défendre ses choix passés. Sa ligne : éviter de désigner les responsabilités politiques locales, tout en laissant croire que la situation se rétablira d’elle-même après les chantiers.
108 commerces indemnisés : un chiffre trompeur
Un extrait de La Montagne du 16 octobre 2025 précise que 108 commerces ont été indemnisés pour les pertes liées aux travaux InspiRe et ceux de la Métropole.
Le journal indique qu’une commission d’indemnisation a été mise en place et qu’environ 2,6 millions d’euros ont été versés, soit une moyenne inférieure à 25 000 € par commerce.
Mais cette aide, présentée comme exemplaire, reste hautement sélective :
- Il fallait constituer un dossier complet, avec bilans comptables, justificatifs précis de perte de chiffre d’affaires et preuves du lien direct avec les travaux.
- Les critères retenus portaient sur l’emplacement, l’ancienneté et la gravité mesurée des pertes.
- Nombre de petits commerçants, artisans et restaurateurs ont renoncé à déposer un dossier, découragés par la lourdeur administrative ou exclus faute de justificatifs suffisants.
Ce mécanisme, censé compenser les pertes, n’a concerné qu’une minorité de commerces réellement touchés. Dans les faits, beaucoup n’ont reçu aucune aide, tandis que les acteurs institutionnels utilisent aujourd’hui ce chiffre de 108 pour illustrer une soi-disant solidarité métropolitaine, alors qu’il masque une réalité bien plus vaste : des centaines de commerces affaiblis ou disparus sans indemnisation.

Le centre-ville, victime d’une politique d’aménagement déconnectée
Les témoignages concordent : l’accessibilité, le stationnement et la circulation sont devenus des freins majeurs. Les habitants renoncent à venir en centre-ville pour des achats courants.
Les boutiques ferment, les loyers commerciaux chutent, et les indépendants quittent les artères principales.
La périphérie, présentée comme “gagnante”, ne fait que ramasser les miettes d’un flux commercial qui se déplace faute d’alternative. À terme, c’est tout le tissu économique local qui s’appauvrit.
Une vérité fragmentée
France 3, en donnant la parole à ceux qui subissent, a livré une photographie plus fidèle à la réalité.
Le Courrier des Entreprises, en diffusant la version adoucie des institutions, a permis de neutraliser le choc médiatique.
En somme, deux discours complémentaires d’une même communication : montrer la crise, puis la relativiser.
Conclusion
Ce double traitement médiatique illustre la mécanique habituelle à Clermont-Ferrand :
- Reconnaître le problème à demi-mot.
- Le relativiser avec des moyennes.
- Reporter la responsabilité sur la conjoncture nationale.
- Promettre une amélioration hypothétique “après les travaux”.
Mais les faits sont têtus : le commerce clermontois s’effondre parce qu’il a été déstructuré par des choix urbanistiques mal pensés.
Et tant que les décideurs locaux et leurs relais institutionnels s’obstineront à travestir la réalité sous des chiffres moyens, la ville continuera de perdre ce qui faisait sa vitalité : son cœur commerçant.





