Le rapport définitif de la Cour régionale des comptes sur le Centre communal d’action sociale (CCAS) de Clermont-Ferrand révèle une série de défaillances graves : déficits chroniques, conflits d’intérêts, confusion entre la mairie et le CCAS, absence de stratégie et pilotage défaillant. Un constat accablant que certains médias locaux, notamment La Montagne, s’efforcent pourtant d’adoucir.
Un centre social en crise profonde
Le CCAS de Clermont-Ferrand, censé représenter la colonne vertébrale de la politique sociale municipale, traverse une crise sans précédent. Le rapport définitif de la Cour régionale des comptes Auvergne–Rhône-Alpes, publié à l’automne 2025, décrit un organisme au bord de la rupture, incapable de remplir correctement ses missions.
Selon les magistrats, la structure souffre d’un “défaut de stratégie”, d’une gouvernance illégale et d’une dépendance quasi totale vis-à-vis de la mairie. La Cour relève des dysfonctionnements majeurs, certains déjà signalés en 2016, restés sans la moindre correction.
Une gouvernance illégale et sous tutelle municipale
Depuis 2024, le CCAS est dirigé non par une direction autonome, mais par quatre cadres de la Ville, dont les fonctions sont cumulées. Ensemble, ils ne représentent que 80 % d’un poste à temps plein, alors que la structure gère plusieurs établissements d’hébergement pour personnes âgées, des services à domicile, des aides sociales et des dispositifs d’urgence.
Les magistrats dénoncent un “montage juridique à revoir”, et pointent une dérive politique : le CCAS est devenu un simple appendice de la mairie, piloté par les mêmes personnes, selon les mêmes logiques de communication et de décision.
Les règles de transparence, de délégation et de vote ne sont pas respectées. Des décisions engageant des centaines de milliers d’euros ont été prises sans quorum ou par des élus en situation de conflit d’intérêts.
Des conflits d’intérêts persistants : l’exemple de l’association RLS
Le rapport s’attarde sur le partenariat entre le CCAS et l’association Retraite, Loisirs et Solidarité (RLS), dont les liens avec la municipalité sont jugés problématiques depuis plus d’une décennie.
Cette structure associative, domiciliée dans les locaux du CCAS, bénéficie :
de locaux gratuits d’une surface comprise entre 1 400 et 2 200 m²,
de personnel municipal mis à disposition,
de matériel, véhicules et fournitures offertes,
et de subventions directes d’un montant annuel d’environ 10 000 €.
La Cour estime la valeur réelle de ces avantages à près de 190 000 € par an.
Plusieurs membres du conseil d’administration du CCAS, également présents à la tête de RLS, ont pris part à des votes les concernant, sans se déporter. Il s’agit d’un cas manifeste de conflit d’intérêts, contraire au Code général des collectivités.
Des finances exsangues et une gestion sous perfusion
Le CCAS accumule les déficits : plus de 6 millions d’euros de pertes (6,099 M€) cumulées dans les EHPAD, une trésorerie négative depuis 2021, et un recours massif à l’intérim ayant fait exploser les coûts.
La ville de Clermont-Ferrand a dû verser plusieurs subventions exceptionnelles de 2 millions d’euros pour éviter la cessation de paiement.
La Cour souligne que les actions correctrices prévues n’ont jamais été engagées, malgré les alertes répétées depuis 2016. Les magistrats jugent les mesures de redressement “trop timides et différées”, sans plan crédible avant 2029.
Des établissements sous-occupés et une offre déconnectée du territoire
Les établissements du CCAS sont largement sous-occupés : les taux d’occupation chutent, tandis que les coûts par résident explosent.
Près de 61 % des résidents accueillis ne sont pas clermontois, ce qui signifie que les contribuables de la ville financent un service dont bénéficient majoritairement d’autres communes.
Cette situation interroge la stratégie sociale municipale, que la Cour juge déséquilibrée et non maîtrisée.
Des pratiques contraires à l’égalité d’accès au service public
Le rapport cite des cas précis de traitement inéquitable :
places réservées pour certains partenaires (notamment un sociétaire de la GMF),
priorités d’accès pour des agents municipaux,
absence de critères transparents pour l’attribution des logements sociaux gérés par le CCAS.
Ces exemples traduisent une gestion influencée par le réseau et la proximité politique, bien éloignée du principe d’égalité républicaine.
Une presse locale en mode minimisation : le cas de La Montagne
Le 9 octobre 2025, le quotidien La Montagne a publié un article papier intitulé « Un “défaut” de stratégie au CCAS », reprenant certains éléments du rapport.
Mais sa tonalité, comme souvent, vise à relativiser l’ampleur des critiques.
Le journal parle d’un “défaut de stratégie” et d’une “organisation interne défaillante”, alors que la Cour évoque noir sur blanc une gouvernance illégale, des conflits d’intérêts, et une perte totale d’autonomie du CCAS vis-à-vis de la mairie.
La Montagne attribue les dérives principalement à des facteurs extérieurs : la crise du Covid, le coût de l’intérim, ou la charge sociale croissante.
Elle reprend sans distance les justifications d’Olivier Bianchi, qui juge les recommandations de la Cour “acceptables et compréhensibles”, tout en défendant “une gouvernance actuelle temporaire” justifiée par “l’urgence de la situation”.
Autrement dit, la presse locale transforme un rapport de mise en cause en simple rapport d’observation, atténuant les mots, gommant les chiffres, et donnant la dernière parole au maire.
L’enchaînement est typique : relativisation des faits, absence d’analyse structurelle, et recentrage du discours sur les promesses futures de gouvernance.
Cette approche s’inscrit dans une longue tradition de neutralisation médiatique locale, où les dérives administratives ou politiques sont traitées comme des ajustements techniques, non comme des fautes de gestion.
L’article de La Montagne n’évoque ni les conflits d’intérêts liés à l’association RLS, ni la confusion juridique entre Ville et CCAS, ni les subventions exceptionnelles de plusieurs millions d’euros versées pour sauver les comptes.
En occultant ces points essentiels, La Montagne ne rend pas compte de la gravité de la situation.
Elle contribue à entretenir un récit d’apaisement, où les dysfonctionnements sont minimisés et où la responsabilité politique du maire est diluée dans la complexité administrative.

Un système municipal fermé sur lui-même
Le rapport de la Cour, tout comme la réaction médiatique qu’il suscite, met en lumière une réalité plus profonde : Clermont-Ferrand fonctionne en vase clos, avec des institutions verrouillées, une communication contrôlée, et une culture de gestion qui privilégie la loyauté politique à la compétence.
Le CCAS, censé être un outil d’aide aux plus vulnérables, devient ainsi le reflet d’un système de pouvoir local où la transparence et la responsabilité s’effacent derrière les apparences de solidarité.
Conclusion
Le rapport de la Cour des comptes ne dénonce pas simplement une mauvaise gestion : il expose la faillite d’un modèle.
Un modèle où la mairie contrôle tout, où les associations satellites absorbent des fonds publics sans contrepartie claire, et où la communication prime sur la réforme.
Que La Montagne choisisse de minimiser ce constat n’efface rien : le CCAS de Clermont-Ferrand, sous l’autorité directe d’Olivier Bianchi, est aujourd’hui un établissement exsangue, mal gouverné et déconnecté de ses missions sociales fondamentales.
La solidarité municipale mérite mieux qu’un pilotage politique improvisé et des justifications de façade.





